Vous êtes filmés, il n’y a pas de quoi sourire...
18 mai 2005 — vidéosurveillance

Le 18 mai 2005, un communiqué de presse est envoyé aux médias locaux, signé par le Collectif contre la criminalisation de la misère, le CREP (collectif de réappropriation de l’espace public), Georges Yoram Federmann, Maître Jean-Marie Haller, Eric Heilmann (enseignant chercheur à l’ULP), et six autres gugusses.

A Strasbourg, le « tandem » municipal a prévu d’implanter cinquante nouvelles caméras de vidéosurveillance de l’espace public. Elles généraliseraient ce dispositif de contrôle social, déjà omniprésent au centre-ville, à de nombreux autres quartiers (DNA du 12 mai 2005).

Sécurité et sûreté

Le discours politique actuel magnifie le terme de « sécurité » en proclamant haut et fort qu’il s’agit de la première des libertés publiques. Les femmes et hommes politiques entretiennent ainsi volontairement la confusion : en effet, ce que les différentes déclarations de droits de l’Homme consacrent tout d’abord, c’est la sûreté, c’est-à-dire la garantie pour toute personne que le pouvoir de l’Etat ne s’exercera pas sur elle de manière arbitraire.

Le droit à la sûreté, est la première garantie des libertés individuelles. La recherche de la sécurité doit ainsi se concilier avec le respect du droit à la sûreté (qui prime) ce qui signifie que toute personne a le droit de voir respecter sa liberté d’aller et venir, son domicile privé, ses fréquentations, etc.

Les caméras ne réfléchissent pas

La mode de la vidéosurveillance des espaces publics a été offerte clefs en main à nos politiciens par les think-tanks ultra-conservateurs états-uniens, accompagnée de l’attirail juridique sécuritaire adéquat et du concept autoritaire et démagogique de « tolérance zéro » en guise de slogan médiatique. Or la vidéosurveillance est une réponse simpliste et dangereuse, elle masque une absence de politique réfléchie concernant les causes de la petite délinquance et la place des catégories sociales marginalisées dans nos sociétés occidentales. A ce jour aucune étude sérieuse n’a jamais prouvé l’utilité de ce système, mais, partout, un déplacement des actes délictueux vers les zones non filmées est constaté.

Inégalités et contrôle social

La crise économique perpétuelle, provoquée par les politiques ultra-libérales, a eu comme conséquence directe l’accroissement des inégalités entre les plus riches et les plus pauvres. Progressivement, les pouvoirs publics abandonnent toutes leurs missions dont l’objectif était de tendre vers la justice sociale, comme les services publics par exemple, qui permettaient encore aux catégories fragilisées de « garder la tête hors de l’eau ». Restent les seules fonctions régaliennes - police, gendarmerie, armée et « justice » - sans cesse renforcées, permettant ainsi de contenir le mécontentement des perdants et des oubliés.

Tout va bien : « on » consomme, « on » est riche ! Pourtant chacun sait bien que ce « on », c’est de moins en moins de monde... Mais nous ne voulons plus voir ces « exclus » qui ne cadrent pas dans l’image que notre société, réfugiée dans la surconsommation pour oublier une grise réalité, se fait d’elle-même. Donc pour ne plus croiser les vaincus de la croissance, les contrôles se multiplient, de nouveaux délits sont inventés. Et enfin, la vidéosurveillance se généralise, afin qu’à travers l’objectif des caméras de surveillance, une image fantasmée de nos villes, conformes à l’idéal publicitaire car enfin débarassées de tout élément indésirable, se substitue magiquement à une réalité moins reluisante.

Pendant ce temps la délinquance en col blanc prolifère à l’abri des regards, ceux de la vidéosurveillance mais aussi ceux des médias, et n’est que peu inquiétée, à l’inverse des clochards, des rmistes, des « jeunes de banlieue », et globalement de toute personne avec des chiens, des piercings, une tête d’immigré, une casquette, des habits trop sales, en bref, avec un air trop pauvre. Tous ceux qui ne sont pas visuellement conformes à l’image d’une société économiquement florissante sont criminalisés et évacués de notre champ de vision, en partie grâce aux caméras.

Un espace public privatisé

A Strasbourg, les caméras étaient pour l’instant principalement implantées au centre-ville, histoire de donner une impression d’ordre et de confiance aux touristes et autres lécheurs de vitrines, puisque la consommation paraît être ce qu’il y a de plus sacré dans notre ville. L’espace public, entièrement dévoué au commerce, est sous surveillance, et les associations ou citoyens qui auraient l’idée d’y faire autre chose - organiser des jeux, des rassemblements improvisés, ou même discuter à plus de 10 personnes, jouer de la musique, afficher des phrases ou des dessins, manifester bien sûr - seront suspectés illico de « troubler l’ordre public »...

La rue n’appartient plus à ses habitants, et la normalisation des modes de vie, qu’adoubent les dispositifs de vidéosurveillance, ne fait qu’accentuer le phénomène. Les caméras nous poussent à adopter une conduite prétendument normale et nous incitent à nous méfier de l’autre, de la personne « différente ». On nous annonce maintenant la généralisation de ces dispositifs à d’autres quartiers, veut-on y tuer encore un peu plus ce qui y reste de vie, d’échanges non marchands, de convivialité ?

Nous espérons attirer la vigilance de nos concitoyens sur ces problèmes, et provoquer un débat au niveau local. Nous appelons chacun à se questionner, invitons les associations d’habitants à s’emparer du sujet, et attendons des partis d’opposition qu’ils mobilisent tous leurs moyens pour faire barrage à ce projet, avant que les caméras ne s’installent dans nos salles de bains et nos chambres à coucher...