Pour enrichir notre réflexion et préparer au mieux les rencontres de mai contre la vidéosurveillance, la CREP a fouiné dans les bibliothèques et les librairies : voici quelques conseils de lecture pour stimuler nos petites cellules grises.
Cliquez sur les titres pour plus de détails. Thèmes : vidéosurveillance ; politiques sécuritaires ; fictions ; urbanisme ; guerre de classes ; sur la technique ; sur les rapports humains ; résistances.
Alain Bauer & François Freynet
Vidéosurveillance et vidéoprotection
Ce livre trace un historique de la vidéosurveillance en France, fait le tour de la législation (avant la LOPPSI 2), évoque les évolutions technologiques prévisibles et les perspectives de ce lucratif « marché ». Un ouvrage de référence ? Non, plutôt une publicité déguisée en ouvrage scientifique : Un « Que sais-je ? » sur vidéosurveillance et vidéoprotection ou tout ce que vous ne saurez pas sur la question. Alain Bauer est l’un des grands gourous de la vidéosurveillance et ses intérêts financiers dans ce secteur sont importants.
Gérard Wajcman
L’Œil absolu
Psychanalyste, Gérard Wajcman analyse cette exigence de transparence absolue que le pouvoir utilise pour se renforcer. Grâce aux « progrès » de la science et de la technique, nos gouvernants bricolent un « Dieu omnivoyant électronique », symbole de notre « civilisation du regard ».
Claude-Marie Vadrot
La Grande Surveillance
Un bon ouvrage pour une vision d’ensemble des technologies de surveillance qui permettent la mise en mémoire de nos faits et gestes quotidiens. La possibilité de croiser ces fichiers réduit jour après jour nos espaces de liberté et le périmètre de notre vie privée.
David Forest
Abécédaire de la société de surveillance
De l’ADN à la biométrie, en passant par les puces RFID et la vidéosurveillance, un tour d’horizon des dispositifs techno-sécuritaires assorti d’une interrogation sur le rôle de la CNIL. Un bon ouvrage pour une vision d’ensemble (bis).
Ligue des Droits de l’Homme
Une Société de surveillance ?
Ce recueil de contributions fait le point sur l’état des droits de l’homme en France : il rappelle que les plus visés sont bien les plus fragiles (pauvres et migrants) et que la surveillance vise également à étouffer toute contestation sociale. Un ouvrage sobre et convaincant, comme souvent avec la LDH.
Mathieu Rigouste
L’Ennemi intérieur
Pour justifier le développement de l’arsenal sécuritaire, le pouvoir a toujours su désigner un « ennemi intérieur » qu’il fallait combattre pour préserver l’intégrité de la nation : les communistes pendant la guerre froide, les résistants algériens et indochinois au colonialisme, ou plus récemment les immigrés. À travers l’étude minutieuse des étapes de la lutte antimigratoire et de la structuration de l’antiterrorisme, l’auteur révèle l’effrayante évolution du contrôle intérieur, de ses dimensions médiatiques et économiques, ainsi que la fonction de l’idéologie identitaire dans la mise en œuvre du nouvel ordre sécuritaire. Indispensable !
Laurent Bonelli
La France a peur. Une Histoire sociale de l’insécurité
Depuis le fameux « La France a peur ! » de Roger Gicquel en ouverture du 20 heures de TF1, le 18 février 1976, le thème de la sécurité a connu une inflation inouïe, modifiant la perception des milieux populaires et des problèmes sociaux. L’émergence de l’« insécurité » est inséparablement liée aux formes de précarité qui se développent et au recul constant de l’État social, comme le développe aussi Loïc Wacquant (voir plus bas). Une référence. À écouter : Laurent Bonelli dans Là-bas si j’y suis.
Dir. par Laurent Mucchielli
La Frénésie sécuritaire. Retour à l’ordre et nouveau contrôle social
Chasse aux étrangers sans papiers, internement prolongé d’adultes et d’enfants en zones de rétention, multiplication des infractions et des sanctions, remise en cause de la justice des mineurs, atteinte à certaines libertés au nom de la lutte antiterroriste, pression croissante du pouvoir politique sur les magistrats, explosion de la population carcérale, mais aussi abandon de la police de proximité, recours croissant au fichage, à la vidéosurveillance et à la biométrie, montée en puissance des technologies et des doctrines d’origine militaire. Les auteurs de ce livre décryptent les facettes de cette frénésie, ses origines idéologiques et sa mise en scène médiatique. Court et complet à la fois, à lire !
Corey Robin
La Peur. Histoire d’une idée politique
La peur n’est pas un phénomène inexplicable, irrationnel, qui touche les gens sans raison. C’est un sentiment voulu et renforcé par le pouvoir pour asseoir sa domination et imposer des mesures susceptibles de provoquer de vives réactions du peuple si celui-ci n’était pas paralysé par la peur. L’auteur part de l’analyse historique de l’idée de peur, pour éclairer le fonctionnement de la vie politique américaine actuelle, et plus généralement de nos démocraties. Sans doute l’ouvrage le plus abouti sur ce thème.
Pièces et Main d’Œuvre
Terreur et possession. Enquête sur la police des populations à l’ère technologique
L’indispensable collectif grenoblois PMO retrace ici l’histoire du contrôle des populations : de la numérotation des maisons à la carte d’identité, le pouvoir a multiplié les stratégies pour asseoir sa domination. Une critique des sciences et techniques au service des dominants qui fait du bien, à l’heure où le « progrès » connaît des sursauts dans son agonie.
Alain Damasio
La Zone du dehors
À ne pas rater ! Dans un monde futuriste, les aventures de la Volte permettent une réflexion approfondie sur les sociétés sécuritaires, la démocratie, les processus d’acceptation, mais aussi sur la résistance nécessaire. Un ouvrage qui fait sacrément réfléchir et, surtout, un très très grand roman !
Ievgueni Zamiatine
Nous autres
Écrit en 1920, ce roman de science-fiction visionnaire est empreint de la déception de l’auteur vis-à-vis des dérives de la révolution d’octobre en Russie. Il préfigure le 1984 d’Orwell ou Le meilleur des mondes d’Huxley et évoque déjà une société de contrôle où chaque homme est fier de n’être qu’un rouage, où la transparence (au sens propre comme au sens figuré) est de mise. Le livre raconte la lente désalienation de « D-503 » à travers son journal intime.
Paul Landauer
L’Architecte, la ville et la sécurité
En urbanisme, la sécurité est traditionnellement associée au modèle de la clôture, de la ville-forteresse. Un autre modèle est en train de naître, qui ne vise plus tant à interdire la pénétration des lieux qu’à réguler les flux par leur séparation de façon à éliminer les risques de friction sociale et humaine. Conçue à partir des stades et des aéroports, cette formule envahit la ville et y réduit les lieux propices à l’immobilité, ceux-là mêmes qui rendent possible cette fonction urbaine qu’est la rencontre. Après avoir lu ce livre, vous ne circulerez plus dans la ville comme avant.
Mike Davis
Contrôle urbain. L’écologie de la peur
Los Angeles est une des villes pionnières en matière de ségrégation et de transformation du centre-ville, commercial et financier, en une zone-forteresse protégée des masses dangereuses. Cet espace « public » réservé aux nantis est appelé un « surveyspace ». Un crêpu a dit : « Faut tout lire de Mike Davis, parce qu’en plus c’est bien écrit. »
Christophe Guilly & Christophe Noyé
Atlas des nouvelles fractures sociales
La géographie sociale évolue. Cartes, graphiques, tableaux décrivent très pédagogiquement les mutations en cours : gentrification des villes-centres, poches de précarité, entre-soi, relégation en périphéries, abstention et vote protestataire. Les fractures sociales, culturelles, économiques correspondent à des territoires précis. Ce petit ouvrage est utile pour comprendre, entre autres, de quoi et de qui veulent se protéger les thuriféraires de la « tranquillité urbaine » et de la vidéosurveillance.
Loïc Wacquant
Punir les pauvres. Le Nouveau Gouvernement de l’insécurité sociale
Le durcissement des politiques pénales est concomitant de l’instauration d’un nouveau gouvernement de l’insécurité sociale, qui vise à façonner les conduites des humains victimes de la dérégulation économique. La police et la prison retrouvent alors leur rôle d’origine : plier les populations indociles à l’ordre économique et moral émergent. Comme toujours, ce sont surtout les plus fragiles qu’il faut contrôler et rendre dociles... Et comme toujours, l’analyse de Loïc Wacquant est passionnante.
Jean-Pierre Garnier
Le Nouvel Ordre local. Gouverner la violence
Devenue gestionnaire d’une société qu’elle prétendait changer naguère, la « gauche » au pouvoir se trouve bien en peine d’en finir avec la misère du monde. Aussi ne lui reste-t-il plus qu’à la criminaliser, c’est-à-dire tenir en respect les nouveaux misérables, grâce au renforcement constant des dispositifs de contrôle social... La gauche ? Quelle gauche ?
Jean-Pierre Garnier
Une violence éminemment contemporaine. Essais sur la ville, la petite bourgeoisie intellectuelle et l’effacement des classes populaires
Synthèse de quarante ans d’observation des réalités urbaines et d’analyse critique des discours dont elles font l’objet, ce recueil montre comment la gestion politique des villes nourrit les appétits économiques de la bourgeoisie désormais « mondialisée » et les aspirations culturelles des néo-petits bourgeois. D’un côté, des espaces « requalifiés » réservés aux gens de qualité, et de l’autre des couches populaires reléguées à la périphérie.
Jacques Ellul
Le Système technicien
Écrit en 1977, cet ouvrage est plus que jamais d’actualité. Pour Ellul, depuis l’arrivée de l’informatique, le système technicien forme un tout organisé qui modèle, transforme et utilise la société, se développant et s’autojustifiant presque indépendamment de toute décision politique démocratique. La technique est aujourd’hui l’élément déterminant de l’organisation de la société, épuisant les ressources naturelles, renforçant les inégalités, et uniformisant les modes de vie. À tout problème engendré par la technique, la seule réponse est forcément technique, créant ainsi d’autres problèmes qui devront eux aussi être résolus par la technique, dans un cycle sans fin. Ce système aveugle s’auto-engendre. Il ne sait pas où il va, et nous entraîne dans sa chute.
Ivan Illich
Œuvres complètes
Disparu en 2002, Ivan Illich avait su démonter que le mythe du « développement » de nos sociétés industrielles a toujours été trompeur : passage de la pauvreté à la misère, perte d’autonomie de l’individu, dépendance de plus en plus marquée aux objets techniques et aux institutions étaient visibles bien avant que la crise écologique ne vienne nous rappeler les limites de la croissance économique. Nous vous conseillons particulièrement la lecture de Énergie et équité, Une société sans école et Némésis médicale.
Miguel Benasayag & Angélique del Rey
Plus jamais seul, le phénomène du portable
Alors que la pub met en avant notre liberté, le portable permet une localisation permanente du moindre de nos mouvements. Là où elle nous promet le réconfort de la tribu, cette liaison incessante avec les autres cache une cassure des liens sans précédent. Loin du mythe de l’objet neutre, qui serait forcément un « progrès », et dont les effets ne seraient dépendants que de l’usage qui en est fait par chaque individu, le portable transforme les rapports sociaux. Pour le pire ? Du bon Miguel.
Nicolas Chevassus-au-Louis
Les Briseurs de machines. De Nedd Ludd à José Bové
Bien avant Ellul ou les faucheurs d’OGM, des hommes ont développé une résistance farouche au développement technique qu’ils considéraient comme néfaste et injuste. L’histoire commence au XVIIIe siècle, en Angleterre, où les ouvriers de l’industrie textile détruisent les premières « machines » textiles, conscients que la mécanisation et l’automatisation procèdent de l’exercice d’un pouvoir, au profit d’un groupe humain et au détriment d’un autre. Un rappel historique nécessaire !
Miguel Benasayag & Angélique del Rey
Éloge du conflit
Dans nos sociétés dites pacifiées le conflit n’a plus de place. Sa négation enserre ainsi dans un rôle social prédéfini la multiplicité de chacun et étouffe la vie. Il en va de mêmes pour les groupes sociaux, les nations... Le non-agir est le pendant de la négation du conflit, le consensus son mode de fonctionnement. Et la société disciplinaire de réduire le conflit, complexe, à l’unique moment de l’affrontement. La négation du conflit tend à figer les comportements, ainsi les auteurs proposent un remède : résister, et créer, pour ainsi inventer une vie joyeuse malgré tout ! Il va sans dire que cet ouvrage résonne étonnement avec la vidéosurveillance... Indispensable pour qui s’interroge sur l’engagement, sur le comment habiter pleinement la vie !
Comité invisible
L’Insurrection qui vient
Le désormais fameux Comité invisible passe en revue la catastrophe civilisationelle qui triomphe, et invite à se mettre en route, à créer des « communes » et des « zones d’ombres ». Radical, offensif, insurgeant. Et beau aussi.
Émile Pouget
Le Sabotage
Manuel de résistance écrit en 1911-1912 par un fondateur de la CGT. Y est relatée entre autres le sabotage de coiffeurs qui shampouinnaient les locaux patronaux ! Subversif, drôle et lumineux, cet ouvrage théorise le « travail comme à coup de sabot » comme mode d’action. Que veut dire « saboter » aujourd’hui ? Comment « saboter » la vidéosurveillance ?
Quand vous aurez lu tout ça, ou presque, vous aurez bien mérité de vous détendre, grâce aux suggestions musicales de la CREP. Tous nos articles sur la vidéosurveillance : Nous sommes filmés, fini de rire.