Une place de stationnement constitue-t-elle un espace public ? C’est en tout cas un espace qui peut être loué, durant quelques heures et moyennant quelques pièces dans un horodateur, pour y placer ce qui est vu comme une extension de l’espace privé : une automobile. Mais pour qui n’a pas de voiture, comment se réapproprier cet espace ? Le 10 juin la CREP était au parking Saint-Thomas pour tenter l’expérience.
Pour des raisons écologiques, il est préférable de bâtir des cités denses où les transports en commun prédominent plutôt que des mégapoles étendues où les déplacements en voiture sont la règle. Les parkings en plein air gâchent une place précieuse dans nos villes où la chaussée occupe un cinquième de l’espace. Implantés comme une verrue disgracieuse au cœur d’un quartier, ils sont l’ennemi de la vie urbaine conviviale.
Et si on remplaçait ces places de parking ? Par des boulodromes et des scènes en plein air, par des jardins à cultiver ensemble, des guinguettes, des transats, par des stands de réparation de vélos, des minimarchés à la place des parkings de supermarchés, par des forêts d’arbres tendues de hamacs, des places sympathiques ? Par du sable... pour transformer ces places en plage ?
Alors le temps d’une journée, payons le parcmètre et installons-nous sur notre place ! Que peu à peu le parking se transforme, avec autant de propositions d’aménagement de cet espace public que de places occupées par des citoyens non motorisés.
A la CREP, on aime aller à la plage à la fraîche. Mais avez-vous essayé de trouver une petite place pour étendre votre serviette sur une plage du sud de la France entre le 14 juillet et le 15 août aprés 10 heures ? Eh bien, pour le parking de la place Saint-Thomas au centre-ville de Strasbourg le samedi, c’est la même chose... surtout qu’il est ombragé.
Le rendez-vous est donc donné à 9 heures. Chacun a apporté son matériel de plage : draps, chaises pliantes, matelas gonflable, pique-nique, zones de don, jeux de plein air et bien entendu nos vélos car il faut savoir qu’une plage de parking ne peut être occupée que par un véhicule accompagné de son ticket de stationnement...
La journée commence bien par l’occupation, dès 9 h, d’une première plage de parking. Nous y mettons une nappe de plage pour prendre le p’tit déj. Entre 9 h et 10 h 30, nous récupérons d’autres plages de parking. Nous y installons des zones de dons, de lecture, de détente et de stationnement pour nos deux roues et notre 4 roues (un vélo et sa remorque). Des crêpistes discutent avec les badauds, d’autres avec les automobilistes qui cherchent une place de parking : « Pas possible, aujourd’hui, c’est plage publique ! »
Tout se passe tranquillement, jusqu’à l’ouverture des magasins et donc l’arrivée plus massive des premiers clients en automobile... pardon des estivants du centre-ville. Trés peu cherchent à prendre une plage de parking. Ceux qui tentent ne discutent plus lorsque nous leur montrons notre ticket de stationnement ou que nous leur expliquons que si nous n’étions pas là, la plage de parking qu’ils convoitent serait sûrement déja occupée par un autre véhicule.
C’est sans compter sur le pizzaïolo du restaurant en bordure de plage qui, passant et repassant avec son automobile, s’énerve un peu. C’est sûr c’est énervant, il fait chaud dans une voiture, ça stresse la voiture alors que le vélo... Il nous menace de faire appel à la sécurité du littoral, ce qu’il va faire le bougre ! Mais ça ne sert à rien, notre plage est déjà sous vidéosurveillance.
Nous continuons à récupérer quelques autres plages, à discuter avec les badauds sur la tenue de ces plages de parking, à jouer, à discuter.
Les maîtres nageurs sauveteurs de la municipale débarquent à trois, ils sont très courtois même s’ils procèdent à un contrôle d’identité. Nous leur expliquons notre démarche. Ils nous expliquent qu’une plage de parking c’est fait pour y stationner un véhicule à moteur en payant. Or c’est ce que nous avons fait : nous avons payé notre plage et y avons mis un véhicule à moteur non polluant... nos jambes ! Nous sommes donc dans la légalité... ou tout du moins à la frontière.
Les maîtres nageurs sauveteurs de la municipale essayent de faire appel à notre bon sens, nous expliquent que nous ne permettons pas une fréquence de rotation des automobiles et empêchons donc les gens de se rendre dans les magasins. Auraient-ils pour mission de faciliter les achats en ville ? Devant nos arguments et notre envie de rester à la plage, ils font appel à leurs collègues maîtres nageurs sauveteurs de la nationale. Nouvelles discussions fort cordiales, nouveau contrôle d’identité, il est midi. Ils nous signalent qu’ils feront signe s’ils ont du nouveau et nous laissent prendre l’apéro en paix.
Car pendant tout ce temps, nous avons continué à nous étendre en stationnant nos véhicules, à discuter avec les badauds, à faire bonjour au petit train touristique de Strasbourg, à mettre de la menue monnaie dans l’horodateur. Il était temps de manger et de fêter un heureux évènement, le mariage d’un couple de crêpeurs. Un apéro (sans alcool car c’est interdit d’être saoûl sur la voie publique) de mariage à la plage, c’est pas la classe ? Une dizaine d’amis nous a rejoints... Nous enchaînons sur le pique-nique de midi, Quelques passants s’arrêtent. Nous restons vigilants, nous surveillons les autres plages.
A l’heure de la sieste, vers 14 h environ, deux nouveaux fourgons de maîtres nageurs sauveteurs de la nationale arrivent. Nous sommes une vingtaine de crêpistes et nous avons un littoral d’une douzaine de plages.
Nous essayons de discuter mais cette fois c’est l’heure de partir... A 14 h 30, sur les conseils de nos amis maîtres nageurs sauveteurs, nous préférons plier nos serviettes et rentrer à la maison. La plage, quand le soleil est au zénith, c’est dangereux pour la peau, tout le monde le sait.
Nous ne sommes pas les seuls : à Grenoble pour la journée mondiale sans voitures ; aux États-Unis d’Amérique du Nord, comment transformer un parking en parc. À lire : une étude d’Arnaud Gasnier, De nouveaux espaces publics urbains ? Entre privatisation des lieux publics et publicisation des lieux privés.