Brique n°3 : Nouvelle caméra en vue : ça n’a rien à voir ?

Ci-dessous, nous reproduisons le texte de la Brique n°3. Le seul exemplaire en papier a été collé au cours de la vélorution cyclosophique, sur le poteau de la caméra dont il est question.

Enfin, la place historique du Château redevient une vraie place ! Enfin cet infâme parking est supprimé ! Reste à voir comment la vie va reprendre, maintenant que les bagnoles ont été chassées (1). Pour l’heure, la mairie a installé du mobilier urbain provisoire : des bancs, des poubelles et un plan de la ville. Pour dire vrai, ce plan sert de justification à un nouveau panneau publicitaire dont il n’est que le verso, tourné vers la place du Château. Les pubs hideuses sont ainsi immanquables, depuis la place de la Cathédrale, pour les touristes qui admirent la façade gothique (d’ailleurs, un panneau à moins de 100 mètres d’un monument historique, est-ce bien légal ?). Quant aux bancs, ils sont munis de séparations individuelles, des barreaux de bois à même l’assise, plus discrets que des accoudoirs, mais dont on connaît la fonction : empêcher la sieste des sans abris.

Un nouvel aménagement et hopla, une nouvelle caméra !

Et, ô surprise, ces petits aménagements encore provisoires sont l’occasion et le prétexte pour la ville d’installer une nouvelle caméra de vidéosurveillance ! Celle-ci surveille la borne mobile qui commande désormais l’entrée des véhicules sur la place du Château ? Mais, comme par hasard, elle est située au croisement de la rue de la Râpe et de la rue du Ban-aux-Roses, qui descend vers le pont Sainte-Madeleine : elle surveille donc aussi cette « ligne de fuite » potentielle (par où les « délinquants » s’enfuiraient, vers leurs banlieues tapies dans l’ombre, une fois leur forfait commis au centre-ville). Cette caméra est une boule de ce nouveau modèle plus design apparu à Strasbourg lors du sommet de l’OTAN, sans doute l’une des caméras qui a été démontée après l’événement (2). Elle a tout l’air d’avoir été acquise par le SIRAC (organisme gérant la circulation dans la CUS) qui modernise ainsi ses propres installations, ou étend son réseau, comme ce serait le cas ici. On doit noter que cette caméra fait face à une autre boule, plus ancienne, installée au milieu de la place du Château et qui surveille aussi du même coup la rue de Rohan.

Une caméra reste une caméra !

Oui, mais nous dira-t-on : « Ça n’a rien à voir ! » Les caméras du SIRAC surveillent la circulation automobile tandis que les caméras de « vidéoprotection » protégent les citoyens de « l’insécurité », ce n’est pas la même chose ! Et si, justement, c’était de plus en plus la même chose ? La différence principale, aux dernières nouvelles, et pour autant qu’on nous dise la vérité, c’est que les caméras du SIRAC n’enregistrent pas l’image... Alors que les autres le font allègrement. Mais voilà pourquoi ce détail a de moins en moins d’importance : les textes prévoient qu’en des « situations exceptionnelles », toutes les caméras sont également réquisitionnées. Ce fut le cas, bien sûr, pendant le sommet de l’OTAN, ce sera le cas demain et de plus en plus souvent, pour un tas d’événements festifs, sportifs, politiques ou sociaux... Et à coup sûr si Strasbourg accueille le prochain G20 en 2011, comme le maire Roland Ries le souhaite. Qu’en est-il au juste des manifestations politiques ou syndicales ? Justifient-elles cette exception ? On rappellera qu’un simple couloir sépare les centres de supervision du SIRAC et celui de la « vidéoprotection »... (3)

La loi rend obligatoire le signalement des zones vidéosurveillées. Certaines villes n’hésitent plus à se déclarer « espace vidéosurveillé », ce qui fait faire des économies à la signalétique urbaine... Ce n’est pas le cas de Strasbourg. Mais alors pourquoi les caméras du SIRAC ne sont-elles pas également bien signalées ? L’intention (regarder les voitures) rend-elle superflu ce signalement parce qu’elle innocenterait la caméra ? Pourquoi le passant n’a-t-il pas le droit de savoir à quelle caméra il a affaire ? La moindre des choses : que toutes les caméras qui se dressent dans l’espace public puissent être identifiées et qu’on affiche leur justification officielle ! Ce n’est pas à nous de supposer sa fonction et sa place dans le réseau, c’est à son propriétaire de la justifier et de nous permettre de l’identifier.

Au fait, le comité d’éthique bidon (4) doit-il être saisi au sujet de toutes les caméras dans l’espace public, par exemple celles du SIRAC ? On ne parlera pas ici des caméras privées promises elles aussi à un bel avenir sur la voie publique : la loi LOPPSI 2 (5) va désormais encourager leur installation et faciliter leur utilisation partagée (les forces de l’ordre y auront accès facilement), permettant ainsi, dit le slogan, une « coproduction de la sécurité ».

Un réseau de plus en plus interconnecté : mais pour quoi faire ?

On peut chercher des subtilités techniques, vouloir déterminer le type de la caméra comme on discuterait du sexe des anges, mais ce serait ignorer qu’elles convergent vers un seul regard unifié et structuré qui tient à ce que rien ne lui échappe de l’espace urbain, quoi qu’en disent et qu’en pensent ceux qui les installent.

Le résultat ? Plus le temps passe et plus les rues sont épiées et dominées par ces yeux d’un nouveau genre. Toutes les occasions sont bonnes. La caméra est devenu d’intérêt public comme naguère les becs de gaz pour éclairer les rues des villes. Ce n’est pourtant pas un aménagement aussi anodin qui est en cause ici. Désormais chaque passant est filmé des centaines de fois dans une journée, comme c’est le cas à Strasbourg. Filmé pour des tas de « bonnes raisons » différentes, pour son bien ! Le voulons-nous vraiment et avons-nous seulement conscience des enjeux ? L’acceptation automatique, ce n’est pourtant ni la liberté, ni la démocratie. Et que dire de la « transparence » qu’on érige aujourd’hui en vertu ? Sinon qu’elle n’est jamais symétrique : il faudrait curieusement toujours se laisser voir et ne rien savoir de précis sur ces yeux qui nous épient...

La « vidéocirculation » ça n’a rien à voir ?

Quand l’adjoint à la sécurité de la municipalité affirme dans la presse qu’il met fin à l’extension du réseau de caméras (en 2010...), ce n’est que de la « vidéoprotection » dont il parle, qui est une vidéosurveillance parmi d’autres (6). D’autres villes ont depuis longtemps brouillé les cartes : ainsi Nice, dont le maire et ministre Estrosi annonce que les caméras serviront désormais tout autant à verbaliser les contrevenants à la circulation qu’à la fameuse « vidéoprotection » qui prétend lutter contre « l’insécurité » (7).

Notes

(1) Leitmotiv : Plages de parking : sous les pneus, la vie.

(2) De nouvelles caméras malgré les promesses électorales ? la CREP, 5 juin 2008.

(3) M. Grossman déclarait en 2003 au Conseil de CUS : « La mise en place d’un centre de supervision est programmée. Celui-ci nécessitera un effectif d’opérateurs [... qui] seront en liaison permanente avec l’hôtel de police et les polices municipales. Ils seront également en liaison étroite avec le PC de la CTS, dans la mesure où les caméras mises en place sur un certain nombre de stations de tram de l’agglomération seront vidéosurveillées par le centre qui sera implanté à proximité du SIRAC ».

(4) Vidéoprotection, piège à moutons ! la CREP, 24 octobre 2008.

(5) Deuxième loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. « Vidéosurveillance, blocage de sites Web : la Loppsi 2 adoptée par l’Assemblée » site du Monde 16 février 2010.

(6) Nouvelle carte de la vidéosurveillance à Strasbourg, la CREP, 11 octobre 2009.

(7) « La vidéosurveillance contre les voitures mal garées » site du Figaro 22 mars 2010 : « Nice et ses 650 caméras prévues comptent aussi traquer les mauvaises habitudes de stationnement. Techniquement, tous ces appareils pourront relever l’infraction. “Mais nous allons identifier les périmètres où l’on décidera de verbaliser” explique Ch. Estrosi. »

Vous pouvez télécharger ce numéro ainsi que tous les autres : La Brique, journal mural.


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À propos des bancs anti sans abri : « Explications bancales » (MCSinfo 11 avril 2010)
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